L'anorak rose

Sortant de mon hangar
Où le froid ce jour là
Avait gelé mes doigts
Assise bien au chaud
Dans ma petite auto
J'écoutais miles davis
Embouteillage aidant
Je regardais ces berges
Où poussent en plein hiver
Des abris de cartons
Et je le vis pour la première fois
Homme sans âge sans abri
Assis près d'un caddie 
En anorak rose
L'hiver resplendissait
De froideur mortelle
Et chaque soir les infos
Entre deux balivernes
Nous comptaient décomptaient 
Ceux tombés aux combats
De cette guerre du froid
Je guettais chaque soir
En sortant du boulot
Sourire nous échangions 
Ou petit signe de mains
Et arriva ce soir où je ne le vis pas
Cartons éparpillés 
Caddie tout renversé
Et trônant sur le gel
Un anorak rose...
D'impuissance de rage de colère 
Mes larmes ont coulé
Mais c'est surtout de honte
D'habiter un pays
Où comme un fait d'hiver
Des hommes meurent de froid
Chaque fois que je passe
Mon cœur bat d'impuissance 
Et j'adresse un sourire
Que lui seul peut voir

©Clara Delange

Chutttt

Il y a ce que l'on voit
Ces visages tuméfiés 
Ces chutes si fréquentes 
Dans divers escaliers
Ces enfants apeurés
Coudes levés
Visage protégé 
Il y a ce qu'on entend
Ces cris ces hurlements
Tous ces mots de colère 
Dans la rue déclarés 
Et puis il y a...
Tout ce que l'on ne voit pas
Quand les portes fermées 
La rage se déchaîne 
Et les chaînes se referment
Il y a ces vieillards 
Seuls désemparés
Délaissés oubliés
Il y a ces enfants 
Qu'on met dans les placards
Les muselés d'émo 
Il y a ces femmes
Toutes recroquevillées
Oiseaux aux ailes brisées
Il y a ces violences
Qui ne laissent pas de traces
Alors alors alors...
Il y a le silence 
Et la peur d'être soi

©Clara Delange

Mouette rieuse

Mouette rieuse j’écris
Au creux des vagues à l'âme 
Au bord des lames de fond
À l'écorché vive de l'écume 
À l'aube des étoiles à mer tombées 
J'écris en l'âme de fonte
Aux sirènes hurlantes
Déchirant les nuits froides

J’écris aux marées-cages

Je crie aux corps-mourants

Rejetés sur la plage
J'écris aux silencieux
Laissés en bord de scène 
J'écris aux naufragés
J'ai cris en toute urgence
À ceux couchés au sable
Que les marées ignorent
Je crie à leur secours
Avant que la tempête 
De notre indifférence 
N'engloutisse leur silence

Que faire quand on naît mouette
Et qu'on ne s'est que rire...

©Clara Delange

    Revue Étoiles d'encre numéro 61-62 mars 2015 : nos révoltes  Éditions Chèvre-feuille étoilée