Penser la vie

 

Dans la revue Étoiles d'encre parue en mars 2017, deux de mes textes ont été publiés :

1 poème

  • Savon d'Alep

et une nouvelle

  • L'oublieuse

Des textes chers à mon cœur que je vous laisse découvrir.


Savon d’Alep

 

Savon d’Alep à l’essence de rose,

Les enfants jouent à la marelle,

Ça explose comme des rires innocents,

Quittent la terre à cloche-pied,

Les enfants jouent, les enfants rient,

Les bombes grondent

Ils iront tous au paradis !

Bouts de laine ramassés,

Tricotin, cahin-caha, c’est le pompon,

Nous tricotons notre avenir.

L’hôpital est bombardé,

J’ai préparé des beignets, Aouama sucré salé,

Les enfants jouent, les enfants rient,

Ce soir tu es rentré,

Basboussas avalés, les enfants dorment rassurés.

Sous la douche,

De ta peau à ma peau,

Alep mousse et nous rions,

Dépose les pétales de rose, 

Ce soir tu es rentré,

Aurions nous quitté ce pays si tu n’étais pas médecin ?

Alep, comme une feuille de papier,

Tu te laisses froisser, souiller, déchirer,

Il nous faudra plusieurs vies

Pour te laver, te réparer, te recoller

Et te permettre de retrouver

La bonne odeur de ton savon,

La belle odeur de liberté.

Bulles de savon, ma belle Alep,

Ce soir tu es rentré

Tu poses la douceur de tes mains sur mon ventre

Qui de notre amour s’arrondit.

 

©Clara Delange


L’oublieuse

 

 

Pendant qu’il jardinait, elle était partie faire quelques courses. Mais au moment de rentrer chez elle, la rue avait disparu, elle demandait son chemin mais la rue avait disparu.

Elle marchait sans rien voir, elle avait changé d'espace temps, il l'attendait, il s'inquiétait, il l’avait trouvée là, à quelques mètres de la maison, il avait pris sa main, guidée par lui, elle parcourut les quelques mètres, chemin réapparu, la maison était là.

Ce jour-là elle sut. Elle avait franchi la porte du monde sans présent, sans futur, du monde de l’oubli.

 

Pour la première fois. Elle avait peur de se perdre au pays de l’oubli.

Il lui fallait trouver le gardien de ses mots !

Quelqu'un dont le regard parlerait ses silences, quelqu'un dont le regard parlerait ses absences, quelqu'un dont le regard atteindrait sa démence,  un gardien de ses mots, un gardien de l'oubli.

Elle était comme une gare aux heures d'affluence, ses mots les voyageurs

Certains avaient trouvé refuge auprès d'un Chèvrefeuille au milieu des étoiles, ils laisseraient une trace au jardin sans oubli et seraient à jamais comme une valise ouverte.

Parfois, par trop de bruit, les mots courant sans cesse dans n’importe quel sens, parfois elle demandait à ses mots de se taire, elle se mettait en grève pour que la gare se vide, pour un temps elle partait en voyage en pays d'équations. Les chiffres, les inconnues tout ça la rassurait et puis elle reprenait le chemin des cahiers, elle avait eu, si souvent, peur de perdre ses mots enfin qu'ils l'abandonnent, qu'ils choisissent d'aller naviguer en ailleurs, qu'ils se noient...qu'ils se perdent loin d’elle.

Il lui fallait trouver le gardien de ses mots.

Au milieu des tempêtes quelqu'un dont la douceur serait comme une bouée, dans un havre de paix, un gardien de ses mots, un gardien de ses phrases.

 

Ses mots étaient en corps, si ses mots s’envolaient, je serai là, gardien de  papillons, un filet à la main

Au petit pré de moi, elle viendra se poser, au fil de l'oubli enfin se reposer.

Je serai le témoin de l'évaporation, je lui lirai ses mots, peut-être rira-t-elle, peut-être pleurera-t-elle, peut-être les souvenirs retrouveront la force de nager vers le haut,

 

À lui, elle confierait le jardin de ses mots !

Et quand viendrait le temps de la perte de tout, de l’oubli infini, du chemin sans retour, il serait son chauffeur, la conduirait sans peur au sommeil éternel il lui avait promis. Lorsque dans le miroir

                        Elle ne se verrait plus

 

 

Au petit pré du temps

Les souvenirs s'envolent

Au petit près de toi

Les souvenirs reviennent

J'oublie tout de la vie

J'oublie même où je suis

J'oublie ce que je fais

J'oublie même qui tu es

L'oublieuse je suis

Oublieuse de moi

La sauvage, l’autre, une autre

La femme dans le miroir

je ne la connais pas 

 

Parfois je désherbe le champ de mes amours et de mes souvenirs

Parfois je dessine de nouveaux paysages en mon jardin secret

Au jardin des oublis les souvenirs repoussent

L'oublieuse je suis

 

   Mais qu'est-ce que vous faites là ? Qui êtes-vous ?

    

   Qui vous a permis d'entrer, qui vous a donné les clefs ?

    

    Ne me regardez pas comme ça !

    

 

— Ma douce à qui parles-tu ?

— À la femme dans le miroir !

Équation à deux inconnues, les mots de « L’une à l’autre » remontent à la surface, elle a peur, elle est devenue l’oublieuse, elle ne veut pas se perdre alors elle confectionne un badge qu’elle portera toujours, sur lequel est écrit « si je me perds, ne me posez pas de question, rapportez-moi à cette adresse ».

 

Je suis le gardien de ses mots, je consigne méticuleusement sur un carnet jour après jour, nuit après nuit afin qu'elle se souvienne.

Nous sommes là, l'un pour l'autre, l'un avec l'autre, je respecte mon "oiseau-lyre" libre, je ne devrais pas dire "mon" elle n'est pas à moi, elle est "Elle" indépendante, électron libre, imprévisible, elle me dit " tu es le havre de paix où j'aime jeter l'ancre" j'avoue il m’a fallu du temps pour ne plus avoir peur qu'un jour elle m'abandonne !

 

Parfois je désherbe le champ de mes amours et de mes souvenirs

Parfois je dessine de nouveaux paysages en mon jardin secret

Parfois je ne sais plus, parfois je ne te sais plus, mais je sens mon cœur battre, alors je m’abandonne et te trompe avec toi.

 

   Bonjour Mamadouce

   Qui êtes-vous ?

   Mamadouce, c’est nous Louis et Elsa !

    

 

Aujourd’hui, les jumeaux sont venus, Louis le poète, Elsa la muse ; elle ne les a pas reconnus. Équation à trois inconnus ! Elle le sait, elle s’en souvient ! Elle est l’oublieuse, celle qui sans lui, oublierait de boire et de manger, celle qui sans lui oublierait encore plus vite qui elle est. L’oublieuse devenue la voleuse de petites cuillères comme des petits cailloux blancs elle les emporte et inscrit sur chacune au feutre indélébile le nom du café.

 

Aujourd’hui les jumeaux sont venus, tu ne les as pas reconnus, tu étais dans ton monde l’espace d’un long moment et puis tu as souri et tu as dit : « quelle chance que j’ai aimé la poésie, vous auriez pu vous appeler Barbie et Ken ou Tarzan et Jane ou Popeye et Olive ou Homer et Marge ».

 Nous avons ri, l’espace d’un long moment tu étais revenue.

 

            Tes absences se prolongent, tu restes là assise regardant le miroir, tu ne lui parles plus à la femme inconnue, au fond de tes grands yeux se mêlent sourire et larmes.

 

L’heure est venue pour moi de tenir mes promesses, tu es en équation en pays inconnu, la femme dans le miroir que tu ne reconnais plus…

Parfois tu  désherbais le champ des souvenirs et des amours anciennes, parfois tu replantais les graines de l'oubli en ton jardin secret.

 

Et si je désherbe le chant des souvenirs, si parfois je replante les graines de tes oublis, c’est pour me souvenir de nos rires, de nos joies.

 

 

Je me souviens encore de ce jour de mai où tu me fis promettre…

 

Aujourd’hui nous roulons, demain je planterai les souvenirs de toi, les souvenirs de nous, je les arroserai de la pluie de tes mots et je te verrai rire et danser devant moi.

 

 

 ©Clara Delange